Mon symptôme est-il un mur de souffrance ?
Ou une fenêtre ouverte vers une rencontre avec soi-m’aime ?
Lorsque je me suis formé à la psychopathologie classique, j’ai appris (et donc mis en pratique sagement et fidèlement) la nosographie officielle, qui considère tout symptôme comme un problème à régler. La « psychologie de la pertinence » mise en lumière par Thierry Tournebise, offre un autre regard. Mon symptôme, si je devais le rencontrer face-à-face, me parlerait sans doute d’autre chose. Il me dirait qu’il existe « spécialement pour » me permettre d’aller à la source de son existence. Et sa source, c’est celui ou celle que nous avons été dans le passé, qui a été comme mis à l’écart dans l’inconscient lorsqu’il a subi une souffrance insupportable. Ce mécanisme de « pulsion de survie » (tel que défini par Tournebise) n’est rien d’autre qu’un mécanisme de défense contre la souffrance. Imaginons-le donc, ce dialogue avec le symptôme, nus comprendrons mieux ce qui se joue là…
-Bonjour. Je suis ton symptôme.
-Bonjour ! Je suis surpris de t’entendre car d’habitude les symptômes ne parlent pas…
-Détrompe-toi ! Les symptômes ne sont que messages… Nous sommes divers, comme la vieille psychopathologie l’enseigne depuis des lustres, et la sémiologie le précise avec soin, en nous classant par types. Mais en fait, nous ne sommes pas des ennemis. Tu vis des situations répétitives ? Tu sembles n’avoir aucun pouvoir sur le déclenchement de tes réactions ou de ce qui se joue à ce moment-là ? Ta réaction te semble disproportionnée par rapport à la situation de départ ? Nul doute : c’est un symptôme ! C’est moi !
– Tu dis que tu n’es pas mon ennemi, pourtant tu me pourris la vie…
-Écoute-moi bien : le symptôme que je suis n’est qu’un moyen privilégié pour venir jusqu’à toi. En fait, je n’existe que spécialement pour te pousser à rencontrer quelqu’un.
-Quelqu’un ? Qui ?
-Toi ! Enfin, pas toi aujourd’hui, mais toi hier.
-Ça n’a pas de sens : nul ne peut remonter le temps !
-En cela je te donne raison : nul ne peut abolir le temps. Sauf que, dans ton psychisme, il n’y a ni temps ni espace. Celui que tu étais dans le passé, ancien ou récent, a sans doute vécu des troubles, des souffrances, a été comme coupé de la situation qu’il était en train de vivre tant elle était ingérable par son psychisme. Il est comme hors du temps. Il vit « son » présent enfermé dans le passé.
-Ça me parle, ça. Oui, sans doute.
–Dans ton psychisme, tu peux rencontrer tous ceux que tu as été, tous ceux qui t’ont précédé, tous ceux que tu portes en toi et même ceux que tu seras. Car ils attendent, comme en suspens, à cause de cette rupture avec toi-même qui les as comme placés en arrière-plan, ta pulsion de survie ayant mis à l’écart les êtres affectés que tu as été. Ceci explique pourquoi, pour combler ces vides, tu compenses, c’est la pulsion de survie qui t’y pousse. Tes symptômes peuvent être portés pour ces êtres de toi mais aussi des ascendants ou d’autres êtres encore. Ils te conduisent à l’être souffrant, rejeté dans l’inconscient. Il survit mais il est hors d’atteinte, c’est pour cela qu’il m’envoie. Pour que tu le rencontres. Ainsi fonctionne la pulsion de vie : elle intègre chaque être que tu as été. Et pousse à la réunion.
-Donc si je te fais face, je n’ai pas un ennemi mais un messager ?
-Oui, derrière le symptôme il y a TOI ! Toi vivant cette fracture, à un moment de l’histoire, ou bien un ascendant familial, il y a quelqu’un en tout cas ! Et c’est cela le plus important : aller à la rencontre de celui qui était mis de côté et l’écouter, l’écouter jusqu’au bout.
– A quoi sert de l’écouter ? Ne faut-il mieux pas le rassurer ? Le consoler ?
-Le langage de l’être, c’est le ressenti. Un être que tu as été n’a pas été entendu dans le passé. Alors il parle par le symptôme. Quand on l’a rejoint, il ne demande qu’à être entendu. A ce que son ressenti soit validé, avec réjouissance. Ce n’est pas un événement qu’on rencontre, mais un être vivant une expérience mais surtout ressentant des émotions si fortes qu’elles l’ont comme coupé du continuum de l’être.
-Et si je vais vers moi, vers cet être blessé, je ne vais pas souffrir ? Revivre la scène ? Parce que c’est hors de question !
-Il ne s’agit pas de revivre une situation, mais, guidé de manière appropriée (c’est là où l’aide d’un thérapeute ne peut être négligée), d’écouter et de valider les ressentis de l’être exilé. C’est alors qu’il se sent reconnu avec réjouissance dans son vécu, donc il n’est plus séparé et seul. D’ailleurs, il ne s’agit pas tant de « faire » une thérapie que de rencontrer un être, de le rencontrer vraiment.
-Tu veux dire que si j’écoute le ressenti de l’être que j’étais, ou de tout autre être en exil dans mon psychisme, sa souffrance disparaît ?
-Oui. Enfin MOI, comme symptôme, je n’ai plus lieu d’être. Je disais que tu rejoignais l’être exilé, en fait il n’y a nulle part à aller. Il est là, il a toujours été là, mais comme manquant. Et comme il manque à ta vie psychique, il y a comme un vide-à-être. Et ce vide, tu as passé du temps et de l’énergie à le remplir, par des compensations en tout genre, par exemple. Rien n’est là pour rien dans le psychisme, même les barrières les plus hautes sont pertinentes !
-Alors c’est comme si l’être de moi, celui qui est exilé, renaissait du simple fait d’être reconnu ?
-C’est le principe même de la Maïeusthésie, formalisée par Thierry Tournebise en 1988. Elle signifie en grec « l’art d’être sensible à ce qui naît ». Nous naissons, d’une certaine manière, quand nous retrouvons cette part de nous, manquante et essentielle.
En tant qu’art de communiquer, d’être en lien avec l’être, elle apporte réconfort et validation existentielle à celui qui parle, par la posture particulière de celui qui l’écoute. Comme psychothérapie, elle est une forme de maïeutique psychique, l’art d’accoucher de soi et de retrouver ainsi son intégrité. Bye-bye, symptôme, mon ami, tu as bien fait ton job !